Le Chef Anto est cheffe de cuisine à domicile et traiteur en région parisienne. Son ambition : retravailler les produits et plats traditionnels de chez nous, en alliant la connaissance des produits, le savoir-faire de nos cuisines avec les techniques culinaires apprises en France. Son objectif : donner à notre gastronomie une touche moderne et la rendre plus accessible à ceux qui ne la connaissent pas ou qui en ont des a priori. Entretien…

D’où te vient cette passion pour la cuisine ?

Anto. Au départ je ne savais pas que j’étais passionnée par cela. Dans la culture africaine, savoir cuisiner est normal pour une jeune fille. Très jeune, j’aimais regarder ma grand-mère cuisiner. Je me souviens encore des grands repas de famille à Baraka, des mariages coutumiers de mes cousines, de ces moments où toutes les filles étaient réquisitionnées pour aider en cuisine. Cela était donc normal pour moi jusqu’au moment de choisir une orientation de carrière. Faire de la cuisine mon métier devenait une évidence.

Pourquoi « le Chef Anto » ?

Anto. Le chef Anto, veut dire tout simplement : le chef femme. Mon prénom exact c’est Antompindi, qui signifie « Femmes des champs » en langue Omyene : Anto pour femmes et Pindi pour les champs. C’est mon premier prénom et pendant longtemps, je n’en étais pas fière. Je préférai mon deuxième prénom qui fait plus européen. Lorsque j’ai décidé de me spécialiser dans la cuisine africaine, je voulais un nom qui rappelle mes origines, court, simple, facile à retenir et qui me représenterait réellement. Un jour en regardant un reportage sur les femmes agricultrices ce fut la révélation : elles sont multi-tâches, courageuses, dynamiques, elles prennent soin de leur foyer et de la communauté : en résumé toutes les caractéristiques nécessaires lorsque l’on veut entreprendre. De plus dans ce monde d’homme, être un chef femme était un défi. J’ai ainsi décidé de prendre pour nom de société et pour mon nom professionnel : Le Chef Anto.

Comment décrirais-tu ta cuisine ?

Anto. Ma cuisine est simple mais moderne. J’essaye de ne pas faire trop de chichis. Je pense toujours aux repas de ma mère, mes tantes ou ma grand-mère qui à chaque fois, nous faisaient des mets simples mais succulents et efficaces. Par contre j’accorde une attention particulière au visuel, car on mange d’abord avec les yeux. Entre africains nous sommes habitués au volume, à l’assiette chargée. En Europe, pour faire découvrir notre cuisine à une certaine clientèle, je dois utiliser leurs codes, parler le même langage qu’eux, du coup les mets que je propose deviennent plus raffinés en termes de visuel tout en conservant leur identité gustative.

Rêver c’est bien, mais agir pour accomplir ses rêves c’est mieux. Vivre de sa passion est un bon moyen pour être heureux.

Chef de cuisine, Traiteur, blogueuse culinaire, comment arrives-tu à gérer toutes ses casquettes avec ta vie familiale ?

Anto. Ce n’est pas toujours facile, surtout pour une femme mariée et mère d’un bébé de 18 mois. Mais c’est possible. Mon mari me soutient beaucoup, et ma belle-mère aussi. D’autre part, ce qui est intéressant quand on est traiteur, c’est que l’on vend avant de produire, contrairement à un restaurateur qui produit avant de vendre. Du coup, en tant que traiteur, on a une meilleure visibilité prévisionnelle de l’activité, et on a moins de perte.

Le Chef Anto

Au Gabon en général, ce métier est souvent dévalorisé. Que dirais-tu aux parents dont les enfants veulent embrasser ce métier ? Et quels conseils donnerais-tu à ces enfants ?

Anto. Il n’y a pas de sous métier. Il vaut mieux un cuisinier heureux et passionné, qu’un fonctionnaire aigri, un médecin sans éthique ou un commercial esclave de son salaire à la fin du mois.

Il y a trop de jeunes encore aujourd’hui qui choisissent leur carrière non pas par passion ou par vocation, mais parce que ça fait beau sur le CV ou le salaire est assez conséquent. Or travailler dans la restauration c’est plus que faire de la cuisine, c’est de la gestion et du management, de la comptabilité, du marketing, de la vente, de la publicité, du développement commercial, du service après-vente, de la logistique, des ressources humaines, des langues étrangères, de la gestion de conflits, de la décoration, de la gestion des stocks, de la maîtrises des techniques de conservation et d’hygiène.

Voilà tout ce que j’ai appris durant mon cursus. De plus cette passion m’a permis de travailler dans des lieux hors du commun, et pour des clients à fort pouvoir d’achat. Je n’ai donc rien à envier à un employé de bureau, puisque je vis de ma passion.

Quelle est ta vision du secteur de la restauration au Gabon ?

Anto. Il y a beaucoup à faire. D’abord, la transmission du savoir. Trop souvent nos mamans gardent secret certaines recettes de cuisine ancestrales et meurent avant même de les partager. Certains plats sont donc beaucoup moins cuisinés que d’autres ou pas réalisés comme il se doit. Ensuite, si notre savoir-faire est indéniable, il y a un domaine où nous ne sommes pas au point c’est le savoir-être. L’accueil, le service, la relation client, tout est à revoir. À ce propos, je réfléchis à comment proposer une formation pour aider les restaurateurs gabonais à former leur personnel sur ce point afin améliorer la qualité du service dans leurs établissements et ainsi, améliorer l’image de leur structure pour augmenter leur chiffre d’affaires.

Un dernier mot ?

Anto. Tout d’abord, je tiens à remercier le magazine ODQ et particulièrement Herel D., qui me donne ce privilège aujourd’hui de parler de mon métier et d’inspirer ainsi d’autres jeunes, d’autres femmes à ne pas hésiter à faire de leur passion leur métier. Je finirai par cette phrase : Rêver c’est bien, mais agir pour accomplir ses rêves c’est mieux. Vivre de sa passion est un bon moyen pour être heureux.

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Interview tiré du Magazine On Dit Quoi de Juillet 2016

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